En date du 12 mai 2018, suite à la lecture des déclarations de Frédéric Favre, Conseiller d’Etat, dans le Nouvelliste, je lui ai adressé une première lettre ouverte qui, sur LinkedIn, a été lue par 1680 personnes et qui a également été lue sur d’autres médias sociaux.
Suite à la lecture de ses propos, relayés par le Nouvelliste, je m’étonnais de son apparente méconnaissance de situations mal gérées par les APEA, dont le fonctionnement dépend partiellement du Département des institutions, de la justice et du sport, que Frédéric Favre dirige depuis qu’il a été élu par le peuple valaisan comme Conseiller d’Etat, en 2018.
Je lui annonçais alors que, à la sortie de mon livre, un exemplaire lui parviendrait, et il me répondait aimablement qu’il allait s’intéresser de plus près à ces situations, dans une réponse brève et courtoise que je ne peux pas rappeler ici puisque depuis elle a disparu du net.
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Le service juridique du Département des institutions m’a commandé mon livre, déjà en automne dernier, nous nous sommes exprimés à tour dans les différents médias et, jeudi passé 25 avril 2019 – journée internationale de la préservation du lien parental, quel hasard et quel symbole ! –
Frédéric Favre et moi, nous nous sommes retrouvés sur le plateau de Canal 9, pour un bref échange de quelques minutes en début de journal.
Je n’ai pas pu lire le contenu des quelques feuilles que j’avais placées devant moi, faute de temps, et je vais donc le transmettre ici, ainsi que celui de notre échange informel, qui a eu lieu dans les coulisses, partiellement devant témoins.
Exactement un an plus tard, à nouveau à la fête des mères, voici donc ma deuxième lettre ouverte à Monsieur Frédéric Favre, Conseiller d’Etat, dont j’invite chaque citoyen valaisan à prendre connaissance :
Monsieur le Conseiller d’Etat,
Ces derniers mois, je me suis adressée plusieurs fois par écrit à vous, pour des demandes diverses dont la compétence relève du service juridique du Département des institutions et de la justice valaisan, que vous dirigez.
En décembre 2018, notamment, je vous demandais formellement s’il existait une dérogation possible, pour les Autorités de Protection de l’Enfant et de l’Adulte, qui leur permettrait de se soustraire au devoir de transmettre au Ministère public toute suspicion de violence répétée ou d’actes sexuels commis à l’encontre d’un enfant. Madame Sophie Huguet, cheffe de votre service juridique, m’a aimablement répondu, dans un courriel détaillé et instructif, à une question que je n’avais toutefois pas posée, en m’informant au sujet de la législation suisse qui régit l’organisation des APEA, mais sans répondre à ma question sur le devoir de signalement.
Je me suis donc renseignée ailleurs. Il serait d’ailleurs plus juste d’écrire que j’ai cherché confirmation de ce que je savais déjà, mais dont je m’étais mise à douter tant ce devoir impératif des APEA n’est régulièrement pas respecté.
Je vous rappelle donc ici que les articles 126 et 187 du Code pénal suisse déclarent que les délits mentionnés plus haut sont poursuivis d’office. A cela s’ajoutent toute une série de lois et de prescriptions légales, renforcées par une nouvelle obligation de signaler faite à tout acteur de la protection de l’enfance (et déjà en vigueur en Valais depuis quelques années), qui disent que les APEA doivent impérativement, et dans tous les cas, signaler toute suspicion de tels délits au Ministère public afin que celui-ci mène une enquête.
Ceci n’est régulièrement pas fait, ce qui est un premier problème majeur du fonctionnement des APEA (pas seulement en Valais, d’ailleurs, mais dans toute la Romandie).
Le 23 janvier 2019, j’ai reçu de votre part, cosignée par Monsieur Christophe Darbellay, Conseiller d’Etat valaisan en charge de la jeunesse, un courrier postal dans lequel vous commenciez par m’assurer que « le bien-être des familles et plus particulièrement des enfants est un souci majeur » pour vous.
Vous continuiez en écrivant notamment : « Lorsqu’un citoyen estime que les autorités ont failli dans l’accomplissement de leur mission, il leur est possible d’adresser une réclamation ou une plainte […] au Service juridique de la sécurité et de la justice », qui dépend donc du Département que vous dirigez.
Plus loin, vous mentionniez que « En cas de dysfonctionnement (important ou répété) d’une APEA, le Service juridique de la sécurité et de la justice peut être saisi pour analyser si des améliorations dans la gestion d’une APEA peuvent être exigées.
Finalement, vous adressant spécifiquement à moi, vous m’écriviez que «La cheffe du Service juridique de la sécurité et de la justice (Mme Sophie Huguet) […] se tien(nen)t à votre entière disposition si vous avez des questions ou des précisions en relation avec d’éventuelles démarches que vous pourriez initier. » (J’ai volontairement omis tout ce qui concerne l’Office de la Protection de l’Enfant de ces extraits car c’est spécifiquement de votre Département dont il s’agit ici.)
Ayant reçu une quantité non négligeable de doubles de courriers qui vous ont été adressés, qui n’ont, à ma connaissance, débouché sur aucune intervention de votre part, j’ai été assez surprise de la teneur de votre lettre. Toutefois, au vu des explications données, c’est tout de même avec assurance et avec la certitude que vous interviendriez que, en date du 10 février 2019, je vous ai informé, par écrit, de différentes situations dont la gestion me paraissait surprenante, mais, surtout, je vous ai également adressé un double de mon courrier du 9 février 2019 à une APEA haut-valaisanne. Dans ce courrier, j’interpellais cette APEA pour n’avoir pas informé le Ministère public des déclarations répétées d’une mère, concernant des actes sexuels possibles, voire probables, à l’encontre de sa petite fille. Ne pas l’avoir fait est gravissime car il s’agit d’une obligation légale (art. 187 CP) afin d’éclaircir la situation. Je vous invite à (re)lire le chapitre 18 de mon livre « Protection de l’enfance – lettre ouverte à tous ses acteurs », que je vous ai offert, intitulé « Ana – la genèse d’un désastre », car ce chapitre décrit en détail et précisément cette situation dont je vous ai alors informé, également en détail. Je n’ai reçu aucune réponse à ce courrier.
Quelques échanges avec l’APEA concernée plus tard, dont j’ai envoyé des doubles à votre Département, le 21 février 2019, j’ai à nouveau écrit à Madame Huguet. Je lui demandais spécifiquement d’intervenir dans la situation, en en attribuant la gestion à une autre APEA si celle en charge ne modifiait pas son fonctionnement. Un mois plus tard, Madame Huguet me répondait en me disant que « aucune démarche ne peut être entreprise en l’occurrence par notre service », tout en rappelant que la surveillance des APEA par votre Département est uniquement administrative, ce que l’article 9 alinéa 2 de l’OPEA dément.
Ne perdant pas courage, je vous ai alors, quelques jours plus tard, envoyé à nouveau un double d’une communication écrite à l’APEA, qui débutait ainsi :
« Monsieur le Président de l'APEA,
J'ignore si votre attitude découle du fait que vous ignorez les lois et les procédures ou du fait que vous avez perdu toute objectivité dans l'affaire de la petite xxx.
Monsieur le Président, en ne signalant pas les suspicions d'abus sexuel de Mme xxx, vous avez enfreint la loi et en particulier l'art. 187 CP, ce qui est très grave. Sans entrer dans le contenu du dossier de cette situation tragique, vous aviez l'impératif devoir, sous forme d'exigence légale, d'informer le Ministère public. Vous avez ignoré toutes les procédures prévues dans un tel cas en n'ordonnant pas de mesure de protection pour mettre l'enfant à l'abri du présumé abuseur. C'est extrêmement grave. La loi et les procédures empêchent que vos convictions personnelles vous dispensent d'agir de la manière prévue dans une telle situation.
Vous avez reçu maintenant deux courriers de Me xxx, représentant Mme xxx et vous demandant d'ordonner immédiatement une mesure de protection, ce que vous avez, ce matin encore, refusé de faire. »
Plus loin, j’écrivais :
« J'invite donc le Service juridique du Département des institutions à invoquer l'art. 9, al. 3 de l'OPEA pour agir et pour démettre de leurs fonctions toute personne qui n'applique pas les mesures de protection prévues et qui enfreint la loi. A défaut et dans l'immédiat, au vu de ce qui apparaît comme un conflit d'intérêts tant l'APEA a pris parti, il me semblerait utile de confier la gestion de cette situation à une autre APEA.
Je ne suis pas certaine à 100 % qu'il y ait eu abus - comment le pourrais-je ? - et vous ne pouvez pas être certains qu'il n'y en ait pas eu. Dans ces cas-là, on fait appel au Ministère public et le devoir de l'APEA est de rester impartial et de mettre l'enfant à l'abri. »
Deux jours plus tard, votre Cheffe de Service me rappelait sa réponse précédente et m’indiquait que la mère concernée avait tout loisir de recourir au Tribunal cantonal, si elle le désirait.
Lorsque nous avons échangé sur le plateau de Canal 9, il y avait donc deux mois et demi que, pour la première fois, je vous avais signalé que l’APEA concernée avait enfreint la loi. En coulisse, je vous ai rappelé l’article 9 alinéa 2 de l’Ordonnance de Protection de l’Enfant et de l’Adulte et vous avez convenu que cet article vous permettait d’intervenir dans des dysfonctionnements autres qu’administratifs. Je vous ai alors demandé pourquoi Madame Huguet m’avait répondu différemment. Vous avez suggéré que peut-être l’APEA n’avait pas été mise au courant des suspicions d’abus sexuels (et je me suis alors demandé si vous lisiez les informations que vous m’avez-vous-même incité à vous transmettre) et, devant ma réponse affirmative, vous m’avez alors dit que mes courriels sont si longs…
Monsieur le Conseiller d’Etat, je suis suffisamment occupée sans, dans un contexte où on m’a invitée à le faire, écrire pour ne pas être lue, ou partiellement, ou pour qu’on banalise mes propos.
Par cette lettre ouverte, je veux que les citoyens valaisans soient informés qu’une APEA peut enfreindre la loi en toute impunité, que le Département qui pourrait la rappeler à l’ordre ne le fait pas et que, dans une situation de suspicion d’abus sexuels, la garde de l’enfant a été retirée à la mère qui les signalait, au prétexte qu’elle serait psychiquement malade et souffrant de délire, pour être attribuée à l’abuseur potentiel, le père.
Je voudrais qu’il sache que, une fois le signalement fait au Ministère public, par moi-même, puis par l’OPE, et une enquête ouverte par le Ministère, l’APEA a laissé la garde de l’enfant au père, qui, trois mois plus tard, a amené lui-même sa fillette pour être interrogée. Je vous informe également que le rapport psychiatrique demandé au sujet de cette mère a enfin été rendu et qu’il atteste qu’aucune pathologie psychiatrique, ni grave, ni légère, n’a été décelée chez cette femme.
Avec un mépris total des mesures de protection usuelles prises dans un tel contexte, l’APEA en charge a procédé de telle manière à déboucher sur la quasi assurance de rendre l’audition de l’enfant improductive.
Aujourd’hui, une petite fille passera la fête des Mères privée de la présence de sa maman, sa mère, elle, sera privée de l’enfant et, si cette lettre est longue, elle est très loin de rendre compte de la prise en charge de la situation par l’APEA de manière exhaustive, les trente pages concernant «Ana » (prénom d’emprunt) dans mon livre en témoignent. Je viens de les adresser au Ministère public, pour les joindre au dossier d’enquête.
Devant les caméras, vous nous avez assurés que chaque membre d’APEA fait de son mieux. Monsieur le Conseiller d’Etat, il ne suffit pas de faire de son mieux, il faut détenir des compétences adéquates. Dans les coulisses, vous nous avez informés des interpellations de présidents d’APEA de petites communes qui vous disent que tout se passe bien chez eux, remettent en question une professionnalisation et, après vous avoir entendu, je ne suis pas certaine que la professionnalisation annoncée arrivera prochainement. Je ne suis pas certaine non plus que, devant la situation actuelle, le fait que des petites communes puissent perdre un poste de travail, en cas de regroupement d’APEA, soit un élément à considérer, comme vous l’avez évoqué. Dans l’intervalle, à ceux qui pensent tout faire juste, vous pourriez rappeler que nos autorités de protection, de manière régulière et répétée, procèdent de telle manière à aboutir à l’aggravation de situations d’exclusion parentale, allant jusqu’à une rupture totale du lien parent bienveillant – enfant-s et que ça n’est pas acceptable. Représentant d’un parti politique qui se déclare ouvert à l’extérieur, il me semblerait possible que vous motiviez vos troupes en les informant de ce qui se passe ailleurs, notamment à Cochem et à Dinant, et que vous imposiez ce mode de faire plutôt que d’entendre ceux qui tergiversent. Un divorce n’est pas une guerre et le bien de l’enfant est prépondérant. Actuellement, en cas de conflit important, il n’est pas garanti.
Le jour du vernissage de « Protection de l’enfance - lettre ouverte à tous ses acteurs », des professionnels de tous les domaines concernés étaient présents, de tous les cantons romands sauf le Jura, les seuls manquant à l’appel étant les APEA et le Département dont elles dépendent.
Je veux croire qu’à la lecture de cette lettre ouverte, il se trouvera un ou des politiciens courageux qui auront le désir d’investiguer plus avant et d’intervenir. Si, comme vous, je suis bien consciente que, à l’origine de bien des situations douloureuses, il y a le dysfonctionnement d’un parent, les autorités de protection sont précisément là pour prendre la relève. Le fait que ni vous ni elles ne sembliez être conscients de la nécessité impérative d’une remise en question approfondie et d’un changement immédiat me paraît éminemment inquiétant.
Monsieur le Conseiller d’Etat, cette journée de fête des mères est ternie pour moi, parce qu’Ana, comme d’autres mamans, la passera éloignée de sa fille et parce que, dans ce que je ressens comme un mépris écrasant, il s’est trouvé très peu de personnes pour se soucier de ce qui fait le quotidien d’une toute petite fille et pour tenter de vérifier si, peut-être, les suspicions d’Ana seraient fondées.