Circulez, y'a rien à voir !
- Isabelle Vuistiner-Zuber
- 30 mai
- 5 min de lecture
30 mai 2025 –

Je me réveille, hagarde. Je suis valaisanne, j’aime la marche en montagne, le Haut-Valais et sa nature sauvage, et même sa langue âpre.
Comme beaucoup d’entre nous, surtout ceux qui avaient un lien particulier avec Blatten et le Lötschental, depuis mercredi 28 à 15h30, je n’en reviens pas, je ne m’y fais pas. Un village entier englouti sous les gravats, la boue, la terre, les rochers et la glace. La nature sauvage n’a pas fait dans la dentelle.
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8h30, je m’assieds à mon bureau. C’est congé aujourd’hui et j’écris. Je dépose la troisième plainte en un an, contre une déséquilibrée qui me traque partout, me diffame, déverse son venin, me salit, vole mes photos privées et les distribue. Jusqu’à maintenant, la justice ne m’a guère aidée et je pourrais décider d’être flattée de susciter autant d’intérêt, telle une star. Je ne suis pas flattée, je suis lasse. Très.
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Plainte à déposer et mari malade à véhiculer, ce n’est qu’à 22h00, après un peu d’air respiré en montagne, que je m’assieds devant mon ordi.
Depuis toujours, j’écris. Depuis quelques années, j’écris beaucoup. La lecture de ce qui précède et celle de ce qui va suivre suffit à expliquer, à moi-même en tout cas, pourquoi je privilégie le récit et le recueil de récit. Jamais la fiction ne pourra dépasser la réalité.
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Les guerres d’aujourd’hui, petites ou grandes, sont souvent des guerres d’opinion. On hacke les médias, on les manipule au besoin, on tente de contrôler l’information, chacun saturant ondes et journaux de son narratif personnel, la subjectivité assenée sous forme d’information, pour faire croire qu’elle est objective, qu’elle est LA, l’unique réalité.
Au moment précis où l’on tente d’influencer l’opinion, on sait qu’on a perdu la bataille, en tout cas un peu. Les récriminations et les justifications publiques sont la faillite de la communication, de l’ouverture d’esprit, de la transparence. On a échoué à communiquer d’humain à humain et à trouver, ensemble, des solutions.
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Il y a quelques jours, notre radio suisse romande faisait passer le message suivant : les parents dont les enfants sont sous le coup de mesures de protection leur nuisent en parlant publiquement de leur vécu. Ils violent l’intimité de leurs enfants en la donnant à voir et même, les mettent en danger, en les exposant sur les réseaux sociaux et dans les médias, par journalistes interposés. Le court sujet diffusé a satisfait quelques-uns tout en indignant d’autres.
Personne n’a pensé à relever que ce n’est qu’au terme de tentatives répétées de dialogue que les parents concernés tentent de mobiliser leurs semblables, pour obtenir justice, c’est-à-dire un retour à un fonctionnement acceptable « des choses ».
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Des années ’40 aux années ’80, des centaines d’enfants ont été placés dans des familles paysannes. Déscolarisés, régulièrement battus, parfois violés, main d’œuvre affamée et bon marché, il faut absolument lire « Enfances brisées, vies bousculées – Récits d’ex-enfants placés », paru en 2024, de Caroline Mauron, recueilleuse d’histoires de vie et d’Anne-Marie Praz, historienne. C’est en assistant récemment à la présentation de cet ouvrage par leurs auteures que j’ai appris qu’il avait fallu des décennies, des dénonciations répétées et moult démarches non abouties pour que, enfin, la Confédération présente ses excuses aux petits martyrisés et les indemnise quelque peu. Mieux vaut tard que jamais.
A l’époque de ces placements, être veuve représentait pour beaucoup un empêchement à garder ses enfants près de soi. « On », la société, les services sociaux estimait qu’une femme sans mari ne parviendrait pas à prendre soin de ses enfants et qu’il valait mieux les placer.
L’enfer est pavé de bonnes intentions.
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L’enfer est pavé de bonnes intentions aujourd’hui encore. En 2025, être veuve n’est pas à risque, ce qui l’est, c’est de ne pas être en couple et d’être mère. Ces mamans-là sont scrutées, leur comportement observé de près, leurs compétences parentales questionnées, analysées, mises en doute. Parfois, on dirait même que c’est leur statut social qui est à l’origine d’une attention tout à fait extraordinaire pour déterminer si elles sont à la hauteur. Et, semble-t-il, régulièrement, on estime qu’elles ne le sont pas.
L’enfant est alors retiré à sa mère et placé, parfois en des lieux inconnus de sa famille, hors d’accès, là où elle n’est pas la bienvenue. La mère voit alors l’enfant sous surveillance, quelques heures par semaine si elle est chanceuse et quelques heures par mois si elle ne l’est pas.
A ce stade, décrétée déficiente en compétences maternelles, elle se tait. On ne l’invite plus à exprimer son ressenti ou son opinion et, de plus en plus résignée, elle obéit aux ordres, aux contre-ordres, aux bons conseils, pensant ainsi que sa compliance la rendra un peu plus convenable et acceptable pour ceux qui décident.
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Il arrive que la mère jugée indigne ne se taise pas. Elle tente le dialogue. Qui ne vient pas. Alors elle s’adresse à la justice. Qui ne l’entend pas. A bout de force et d’espoir, elle cherche alors des alliés en partageant son histoire.
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Petite Bénédicte dont le vrai prénom n’est pas Bénédicte,
Petite Bénédicte dont les rares photos publiées ne permettent pas de t’identifier,
Petite Bénédicte sans ta maman en ce jour d’anniversaire, celui de tes deux ans, que tu as passé sans la voir, alors qu’une visite était prévue, parce que le foyer bienfaisant dans lequel tu résides a préféré permettre à ses employés de faire le pont et de prendre congé que de garantir que ta maman puisse te voir, en ce jour si spécial, je ne suis pas loin de penser que tu es devenue une martyre.
Petite Bénédicte retrouvée en mort apparente après dix longs jours où tu t’es enfoncée dans l’apathie et où tes éducatrices consignaient ton état par écrit, jour après jour, plutôt que d’intervenir, je crois que ceux qui crient, écrivent et répètent vouloir ton « bien supérieur » ont perdu la tête.
Alors, en très mauvaise personne qui expose ta vie aux réseaux sociaux et aux médias, je continue à parler de toi. Sans en être une, je me suis jointe aux 23 personnalités qui se sont manifestées, médecins ou psychologues, et qui ont écrit aux personnes en charge, à toutes les personnes en charge, sans jamais parvenir à se faire entendre.
Dans notre pays où la parole d’une assistante sociale prime parfois sur celle d’une pédopsychiatre, où la diversité d’opinions n’est pas vue comme un enrichissement, mais comme une agression délétère, parce qu’une personne qui ne détient ni formation ni expérience personnelle en développement de l’enfant en a décidé ainsi – autorité de fonction en lieu et place de l’autorité de compétences - tu t’étioles loin des tiens, arrachée à TA famille, qu’on aurait pu soutenir tout à fait autrement.
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Chère Radio suisse romande, chère Direction générale de l’enfance et de la jeunesse du canton de Vaud, il est, en effet, des parents qui, à bout de forces, s’épanchent parfois trop pour tenter de trouver du soutien. A force de subjectivité travestie sous des déclarations pompeuses de bienveillance, il semble que, en ce qui concerne cette petite dont la maman n’a pas été autorisée à la prendre dans ses bras le jour de son anniversaire, vous vous fourvoyez. Ce qui empêche le bon développement de cette enfant, en aucun cas identifiable en dépit des soutiens qui se manifestent, est d’abord la privation cruelle, inexplicable, inexpliquée, inacceptable, des bras de sa mère et de sa famille.
Et comme il est présomptueux que de penser avoir raison en tout temps !
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Petite Bénédicte, pendant que ta famille pleurait loin de toi, je me demande si, dans ton foyer bienveillant qui agit pour ton bien, mais où personne n’a daigné se mettre à disposition pour que tu voies les tiens, tu as eu droit à un gâteau d’anniversaire.
Ce dont on ne parle pas n’existe pas, raison pour laquelle je continue et continuerai, comme ton comité de soutien, comme la page Facebook qui t’est dédiée, comme les moults professionnels qui continuent à se mobiliser, de parler de l’amputation de ta famille, que tu subis depuis tes premiers jours de vie.
Petite Bénédicte, en ce jour de tes deux ans, je te serre en pensée dans mes bras.
Superbe article. Pour benedicte