Alors que j’étais enceinte pour la deuxième fois, pourtant bien plus âgée, je me suis retrouvée dans le même état de panique que précédemment, alors qu’avoir des enfants faisait partie d’un projet de vie incontournable à mes yeux, mon projet.
Conseillée par une sage-femme, j’ai voulu aborder le sujet avec mon gynécologue, dans le but d’obtenir son soutien, un mode d’emploi pour me tranquilliser, de l’aide enfin.
« Je me suis faite abuser petite et, quand je suis enceinte, je me sens dépossédée de moi-même et dans un état de stress tel qu’il me semble que seul le bébé ou moi va en réchapper, mais pas les deux. Vous pensez qu’il y a un lien ? » Ce qui se voulait un début de dialogue et qui m’avait demandé un courage incommensurable a obtenu comme réponse, dudit gynécologue « Vous êtes sûre que vous n’inventez pas ? Parce que vous savez, quand les gens ont beaucoup de problèmes (j’avais subi plusieurs opérations), parfois ils inventent, pour se rendre intéressants ».
Le dialogue s’est arrêté là, j’ai changé de médecin et, pour avoir échangé avec d’autres, je sais que sa réponse, cette réponse totalement dénuée d’empathie et de professionnalisme, n’avait rien d’exceptionnel.
Récemment, Caroline Mauron, rencontrée lors de notre formation commune en recueil de récits de vie à l’université de Fribourg, m’a parlé de son recueil de récits à ce sujet et d’une approche qui s’interrogerait au sujet d’une possible corrélation entre abus sexuels subis durant l’enfance et problèmes de fertilité.
A la fin de l’ouvrage « Si près de chez nous… tellement tabou ! », dans lequel homme et femmes victimes s’expriment, Caroline m’a permis de faire part de mon point de vue de thérapeute, ce dont je la remercie du fond du cœur et ce qui a été, pour moi, un pas de plus vers la dignité retrouvée.
Certaine qu’il pourra apaiser un peu ceux qui ont également subi des abus et informer les professionnels de manière utile.
Vous pouvez le commander en allant sur www.sipresdecheznous.ch ou, pour les personnes habitant le Valais central, passer l’acheter à mon cabinet.
Voici donc le point de vue que j’exprime dans « Si près de chez nous… tellement tabou ! », paru aux Editions Entreligne et préfacé par Martine Lachat Clerc, directrice de Solidarité femmes.
« Quand on a été abusé sexuellement, maltraité physiquement ou émotionnellement, particulièrement si ça nous est arrivé lorsqu’on était enfant ou adolescent, certainement aussi lorsqu’on était sous une forme d’emprise de la part de l’agresseur, socialement ou au niveau relationnel, il faut parler.
Il faut commencer par se parler, le jour où l’éventuelle amnésie, qui a eu cours afin de protéger notre psychisme, se dissout. Tant qu’on n’a pas entendu tout ce qu’il y a à entendre, de cette situation qu’on a vécue, il n’y pas de réelle résilience possible.
La seule chose qui nous reste, lorsqu’on a été victime de l’innommable, c’est notre expérience, notre récit, celui qu’on se fait de ce qui s’est passé et qu’on a le droit de faire : à soi, aux autres, à la justice, à n’importe qui et par n’importe quel moyen qui nous permettra de dépasser l’abus, d’aller vers autre chose.
Alors, peu importent les bien-pensants, ceux qui savent toujours tout sans l’avoir vécu et qui ont si peur du qu’en dira-t-on. Car c’est de notre vie dont il s’agit. La victime, c’est nous, et la honte, le regret, c’est à l’agresseur qu’ils doivent appartenir.
Je pratique l’hypnose et je peux affirmer qu’on peut accéder, si on a l’intention de le faire, à n’importe quel souvenir d’une expérience passée. Si le souvenir ne revient pas, c’est qu’on se protège, c’est parce qu’on ne parvient pas – pas encore – à l’intégrer pour qu’il fasse sens. Le jour où cette intégration devient possible, les souvenirs reviennent, peu à peu, avec toujours plus de détails. C’est vraiment ainsi que ça se passe, et le souvenir revient parfois, comme cela a été mon cas, comme un souvenir anodin, quelque chose sur quoi on ne porte pas de jugement. C’est seulement lorsqu’il est bien présent qu’on commence à se rendre compte que c’est un souvenir à part, qu’il s’agit d’un abus. Le tout prend en général des années.
C’est pour cela que je suis en faveur de l’imprescriptibilité pour la dénonciation d’abus, de quelque nature qu’ils soient, commis sur les mineurs. Afin que ceux qui le veulent puissent porter plainte, si le recours à la justice peut éviter d’autres agressions et les aider à avancer. Parce que les victimes ont des droits.
A ceux qui hésitent à porter plainte, je dirais ceci : parler à quelqu’un qui ne manifeste aucune empathie, dans un contexte froid, en répondant à des questions précises qui nous amènent à répondre comme si on était un expert scientifique, un médecin ou un psychologue, débouche sur un récit qui semble ne plus être le nôtre tant il est dénué d’émotion et de ressenti. On a dû se dissocier de soi-même pendant l’abus, pour survivre, tant les émotions et la douleur étaient violentes. On ne peut que se dissocier une nouvelle fois en faisant un récit pour la justice, comme si c’était une répétition de l’abus initial. Il n’y a aucun soulagement à attendre de ça, en tant que processus, le seul soulagement éventuel possible, dans une démarche auprès de la justice, pouvant venir de voir l’agresseur puni.
Il faut parler, se faire son propre récit, le transmettre à quelqu’un qui puisse l’entendre, avec respect et bienveillance, pour, le contemplant avec l’autre, un autre qui nous soutient, l’intégrer totalement à notre passé afin qu’il teinte notre présent et notre futur des couleurs de ce qu’on a appris, des ressources qu’on a développées, et qu’il cesse de déterminer entièrement notre vie.
Parler à autrui et pas seulement à soi-même, c’est le signe, pour soi, qu’on n’a jamais été coupable, qu’on a le droit au respect de qui on est et qu’il y a une place pour nous dans la société."