La petite a quatre ans lorsque, pour la première fois, son père l’emmène dans la chambre parentale. Mais où était donc son aînée, cette fois-là et toutes les suivantes ? Probablement à son cours de piano, car l’enfant se souvient que ça se passait la journée. Sa sœur, son unique recours pour être sauvée, absente du domicile.
Dans la chambre, il y a sa mère, passablement dévêtue. « Embrasse-lui les seins, fais-lui des becs, ça lui fait plaisir, elle aime ça ». La petite, elle, n’aime pas ça. Mais elle a quatre ans, puis cinq, puis six. On obéit à ses parents à cet âge-là, parce qu’on n’imagine même pas pouvoir ne pas le faire. Le père lui, est à genou sur le lit et regarde. Dans son souvenir, dans les images qui lui reviennent, elle le voit du visage à la taille. Impossible de voir plus bas. Pas d’image, tout est bloqué, il est possible que ce soit mieux ainsi.
L’enfant s’exécute et ça la dégoûte. Elle a perdu son statut de petite fille pour devenir celui d’objet, d’instrument de plaisir pour ses parents. Son corps est là. Il voit, il sent, il entend et il ressent. Pendant des décennies, les bruits de succion lui seront si insupportables qu’elle aura envie de frapper celle ou celui qui les produit et, pendant ces mêmes décennies, la proximité physique de sa mère lui sera intolérable.
A l’école, la petite se masturbe. A la maison aussi, abondamment. Le tout s’accompagne de gémissements sonores. Le père lui crie « Arrête de te secouer ! », tandis qu’à l’école, l’institutrice feint de ne rien remarquer. L’enfant ne peut pas s’en empêcher, tous les jours, plusieurs fois par jour. Elle se donne du plaisir tout en haïssant son corps, revivant encore et encore ce qu’elle a subi : un insupportable plaisir physiologique associé à un dégoût émotionnel profond.
Puis elle expérimente. On l’a obligée, elle va en faire de même. Elle caresse les fesses d’un cousin, qui trouve la chose agréable, puis elle tente de faire de même avec une petite voisine. Mais celle-ci hurle, se débat, et finit par partir en courant. Si ça s’était passé à l’heure actuelle, la petite abusée se serait possiblement retrouvée devant un juge.
Le docteur n’a rien demandé lorsque la mère a dit que la petite ne dormait pas. Il lui a prescrit des somnifères. A cinq ans !!! Ni les parents ni l’entourage n’ont fait le lien entre les terreurs nocturnes de l’enfant et un possible vécu traumatique.
La petite, elle, fait des cauchemars semaine après semaine, toujours les mêmes. Le plus effrayant est celui où elle est attachée sur des rails de chemin de fer, où un train arrive et lui roule dessus. Elle a si peur, elle va mourir, elle meurt, mais pas tout à fait puisque ça recommence et qu’un autre train arrive, et la tue à nouveau. Jusqu’à ce que, terrorisée, en sueur, le cœur battant, elle parvienne à ouvrir les yeux.
Toutes les semaines, cette enfant, devenue une jeune femme, fera les mêmes cauchemars et continuera à réveiller sa famille en hurlant lors de ses terreurs nocturnes.
C’est dès la prime enfance que la petite veut rester dormir là où les parents sont en visite. Puis elle souhaite, de tout son cœur, pouvoir habiter dans le foyer où elle va, elle aussi, suivre des cours de piano. Ça sent si bon la soupe. Il y a plein de monde : des adultes, des enfants. Elle ne serait plus jamais seule avec ses parents.
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L’enfant devenue femme souhaite ardemment être mère. Mais, à chaque fois qu’elle sera enceinte, elle aura de telles angoisses que sa grossesse s’interrompra. Lors de l’intimité entre une mère et son enfant, l’un des deux meurt. Elle le sait, elle l’a vécu. Qu’y a-t-il de plus intime que de porter un enfant dans son ventre ? Et la jeune femme ne veut pas mourir.
En réalité, morte, elle l’est déjà. Elle est morte à l’intérieur le jour où on a fait fi de ses désirs à elle, de son statut de petite fille, de ses besoins, pour se servir. Si le quotidien la réanime, lors de toute situation stressante, elle a le sentiment de ne pas exister, à la merci des autres et des événements. Tant d’angoisses qu’elle pourrait en écrire un livre.
Alors elle se bat, elle se débat, elle va de thérapie en thérapie pour parvenir à trouver un semblant de vie normale. Elle reste hypersensible, hyperémotive, mais, aussi, elle décide que pas un enfant dont elle aura connaissance ne vivra ce qu’elle a vécu.
Quand elle a commencé à parler de l’inceste subi, aux premières mises en doute de sa parole, elle s’est effondrée. Puis elle a eu envie de cracher au visage de celui qui, ainsi, la retraumatisait. Maintenant, les rares fois où cela se passe ainsi, elle se détourne et va chercher ailleurs une oreille bienveillante, un cœur empathique, l’humanité tout simplement.
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La femme maintenant d’âge mûr s’est formée à la prévention et à la gestion des abus sexuels, en particulier des incestes. Les cours suivis l’ont parfois replongée dans la terreur et dans l’incompréhension totale qu’un adulte puisse ainsi abuser d’un enfant. Mais elle se tient droite et sa vie a gagné en saveur et en sens.
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Les abus sexuels sur enfants impactent leur vie entière. Il n’y a aucune peine qui puisse correspondre à ce qu’on leur a infligé. Les signes sont nombreux, souvent indirects, et c’est le devoir de notre société de les connaître, de les prendre en compte et de protéger l’enfant.
Depuis sa création, en 2018, le Mouvement Suisse pour la Coparentalité Responsable (MSCR) accompagne les enfants ayant subi de tels abus et les adultes qui soutiennent l’enfant.
Nous avons établi une liste détaillée des signes physiques et comportementaux développés par un enfant abusé. Nous accompagnons et soutenons l’enfant. Nous travaillons en réseau. Nous connaissons de manière approfondie les procédures légales à observer et à suivre afin que l’enfant puisse être entendu, mis à l’abri, que les abus cessent et que l’enfant puisse entamer un travail de rétablissement, qui sera très long.
Vous pouvez nous contacter en écrivant à copresp@netplus.ch ou par téléphone, au +41 27 456 32 62. Nous garantissons votre confidentialité.
La présidente du Mouvement Suisse pour la Coparentalité Responsable (MSCR) : Isabelle Vuistiner-Zuber
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